Le Film Pathé Baby est ININFLAMMABLE !

Nous extrayons de la Revue Le Cinéma Privé l'article suivant relatif à un incendie qui a eu lieu dernièrement à Paris

Non, les projections de Cinéma d'Amateur ne peuvent ni provoquer des explosions ni des incendies. Il faut absolument qu'une loi interdise la vente de tous films 33 mm inflammables à des particuliers.

Nos lecteurs ont certainement lu, non sans étonnement, dans la presse quotidienne les détails, faussement interprétés, d'une explosion provoquée rue Grénéta, par un "cinéma de salon" (sic). Le Cinéma Privé dont le rôle est, non seulement de documenter ses lecteurs, mais aussi de défendre le cinéma d'amateur, se devait de faire une enquète approfondie pour rétablir la vérité sur cette lamentable affaire.

Disons tout d'abord à ceux de nos lecteurs débutants, dont la foi dans le cinéma d'amateur aurait pu quelque peu être ébranlée par les détails de la grande presse, que les films et l'appareil utilisé étaient du format 35 mm. C'est une chose très importante que nos confrères quotidiens ont totalement oublié de mentionner. Une enquête ne pouvait que donner pleine satisfaction à la cause que nous défendons, puisque, nous le répétons, le cinéma d'amateur de format réduit, n'est absolument pour rien dans ce sinistre.

L'accident s'est produit dans la loge de la concierge, Mme Biesmans, où M. jean lambert avait fait la projection avec un appareil 35 mm tourné à la main et dont l'éclairage était fourni par une lampe de 30 vilts sous 2 amp. 5 ; Il a été impossible aux enquêteurs de déterminer la marque de l'appareil, car il a été totalement détruit. Seul un objectif de projection, foyer 50 mm à monture par vis, a pu être retrouvé.

Cet appareil avait été acheté à un brocanteur dont l'éventaire s'étalait sur le trottoir, boulevard Sébastopol, durant les fêtes du 14 juillet. Son prix de vente fut de 120 Francs. Le film fut acheté à la "foire à la féraille", pour 200 francs. Son titre était "la rue sans joie" et il était composé de 8 bobines de 150 mètres chacune (film standard professionnel, en celluloïd, donc très inflammable).

Pour réaliser sa projection, M. J. Lambert avait disposé son appareil, assez volumineux, sur une table placée au fond de la loge, près d'une fenêtre, l'écran était constitué par le mur de la loge se trouvant près de la porte. Sur la table se trouvait, outre le projecteur, une lampe, les 8 bobines de film, et une resistance séparée du projecteur, constitué par un bati métallique ou était bobiné sur des isolant du fil au fer-nickel, le tout étant protégé par un carter en tôle, muni de larges ouvertures d'aération.

Alors que la cinquième bobine venait d'être passée et pendant l'interruption pour préparer la suivante, la bande amorce de la bobine à remplacer pendait devant l'appareil, et par suite de la manipulation, elle vint toucher sans doute une partie insuffisamment protégée de la résistance, ce qui eut pour résultat de faire flamber instantanément cette portion de film.

Malgré les efforts de M. Lambert, qui se brula les mains, le feu se transmit avec la rapidité de l'éclair à la bobine entière qui flamba comme du coton-poudre ; puis le feu de cette bobine se transmit aux autres, faisant exploser celles des boites qui étaient fermées.

La panique fut très grande, car on avait entassé douze enfants dans la loge assez exigüe et la seule porte ouvrant en dedans, la poussée de chacun empèchait de l'ouvrir. Quelqu'un brisa alors la fenêtre pour avoir un dégagement, mais ceci créa alors un formidable tirage d'air avec la porte qui avait été démolie entre temps et qui donnait devant la cage d'escalier. Les flammes s'engouffrant dans ce dernier risquaient d'incendier tout l'immeuble.

Fort heureusement, il n'y a pas eut d'accident mortel, mais de nombreux enfants furent plus ou moins grièvement brulés, notamment une petite fille de 11 ans, dont l'état est demeuré assez longtemps fort grave.

De ce triste accident, il se dégage une leçon, ou plutot il s'en dégage plusieurs. Tout d'abord, si M. Lambert avait utilisé des films et un projecteurs d'amateur, il ne serait survenu aucun incendie, puisque les films de format réduit d'amateur sont "tous" absolument ininflammables et les projecteurs sont étudiés pour présenter le maximum de garantie, aucun d'eux ne possédant de résistance séparée.

L'autre leçon est qu'il faut absolument que nos lecteurs se refusent à utiliser ou manipuler des films inflammables, même si les prix sont dérisoires.

Il faut aussi que d'extrème urgence les pouvoirs publics prennent des mesures énergiques pour éviter que de semblables évènements se renouvellent. La projections de films est bien interdite sans cabine, mas ceci est absolument illusoire si les brocanteurs peuvent vendre ces films à quiconque ignore totalement les dangers qu'ils présentent et les règlements qui s'appliquent à leur usage. Il faut donc absolument qu'un décret ou une ordonnance quelconque interdise formellement la vente ou la location de "films inflammables" à toute personne ne pouvant justifier par certificat du commissariat de police, qu'elle possède une cabine de projection conforme aux règlements et qu'elle est au courant du maniement et des dangers que présentent ces bandes.

Il est bien évident que M. Lambert ignorait le danger que présentait les films qu'il avait acheté de bonne foi pour s'amuser à faire des projections. Si le marchand avait été tenu de lui demander s'il possédait une cabine spéciale pour la projection de ces films dangereux, M; Lambert se serait certainement abstenu et une tragédie, qui aurait pu être horriblement meurtrière aurait été évitée.

Il ne sert absolument à rien d'édicter des règlements rigides sur l'emploi d'une chose dangereuse qui quiconque, ignorant le danger et les règlements, peut acheter chez le premier brocanteur, sur le trottoir et sans recevoir le moindre avertissement.

Nous nous réservons de faire une démarche à la Préfecture de Police pour demander que des mesures soient prises, le plus tôt possible, non seulement pour éviter le renouvellement de semblables accidents, mais aussi pour obtenir qu'une suspicion, préjudiciable au cinéma d'amateur, soit écartée radicalement.

P. de Chateaumorand

le Cinéma Chez Soi N° 107 Décembre 1937.